OpEx vs CapEx : la mauvaise gestion se cache derrière les sigles

Il existe une mode chez les directeurs financiers et les directeurs généraux comme chez les gestionnaires de fonds de placement faisant la pluie et le beau temps en bourse. Cette mode consiste à dénigrer l’investissement au profit de solutions de financement de type locatives. Par exemple, plutôt que d’acheter des locaux, il faudra les louer à des entreprises spécialisées. L’effet comptable est de migrer des sommes d’une consommation de capital (CapEx) vers une consommation de charges d’exploitation inscrites au résultat (OpEx). Dans la majorité des cas, c’est idiot. C’est la marque des modes.

Louer plutôt que d’acheter peut cependant se comprendre dans certains cas et commençons par ceux-là.

La location sert ainsi à une certaine flexibilité sur la consommation d’un bien durable par nature mais dont l’usage réel par l’entreprise peut varier dans le temps. Le cas de l’immobilier est typique. L’entreprise peut avoir besoin de plus de place ou de moins de place, de changer de lieu, etc. Mais ces cas sont très limités.
Ajoutons que dès lors que l’on loue, cela implique que le loyer intègre non seulement l’amortissement du bien, le coût du financement de ce bien (intérêts sur prêts bancaires…) mais aussi le coût de gestion de la location et la marge du gestionnaire. Une location coûte donc toujours plus qu’un achat financé par un prêt bancaire normal et évidemment encore plus qu’un achat payé sur fonds propres dans des conditions similaires.

Bien sûr, vous allez me dire que la faiblesse de ma condamnation est dans ces quelques mots : « dans des conditions similaires ». Le gestionnaire peut être meilleur que l’entreprise louant le bien car spécialiste du secteur. Les cas où cela est vrai révèlent simplement que l’entreprise est mal gérée. Cependant, cela peut être vrai lorsque le bailleur peut mutualiser des services. Typiquement, construire un datacenter redondé avec de multiples sécurités coûte cher tant à la construction qu’à l’entretien et ce n’est pas la quantité de serveurs que l’on met dedans qui change grand chose. Donc plus on mutualise l’endroit, moins il coûte cher à chaque utilisateur. Le présent site web est hébergé sur un serveur loué chez un prestataire spécialisé pour quelques euros par an parce que je ne me vois pas embaucher un ingénieur de production, construire un datacenter, etc. et tout ça pour ce seul petit site web.
Le transfert de risque peut également être une justification au surcoût assumé. « Je ne veux pas être responsable de gérer ce machin auquel je ne comprends rien ou qui peut me péter à la figure à tout moment ». Mais est-ce bien raisonnable d’utiliser un tel machin sauf à titre de test avant de décider (ou non) d’investir dans le dit machin ?
Trois cas, donc, justifient la démarche de location au lieu de l’investissement : la flexibilité de consommation de biens durables par nature, la mutualisation et l’absence de risque.

Dans tous les autres cas, les inconvénients sont largement supérieurs dès lors que l’on réagit en entrepreneur et pas en comptable borné et intellectuellement limité.

Le premier inconvénient, nous l’avons vu, c’est le coût. Le deuxième est l’absence de propriété. Quand on parle d’investissements stratégiques, ne pas être propriétaire est un peu gênant tout de même. Une entreprise peut ainsi se retrouver privée d’outils nécessaires à son fonctionnement parce que son prestataire sera défaillant, pas forcément sur le plan technique mais, éventuellement, sur le plan financier. Vous utilisez une machine louée. Votre bailleur fait faillite. La machine est saisie et tant pis pour vous. L’absence de propriété, c’est aussi l’absence de maîtrise. Vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez de quelque chose qui ne vous appartient pas.
Bien entendu, absence de propriété implique absence de prise en compte de la variation de valeur du bien. Par exemple, si le travail effectué aboutit à donner de la valeur à un bien, ce gain de valeur n’apparaîtra pas au bilan de l’entreprise. En effet, le gain de valeur suit le bien dans le bilan du bailleur.

Alors pourquoi diable cette mode de l’OpEx existe-t-elle ? Suis-je un génie et tous les autres des crétins ? Non, malheureusement. Je voudrais bien mais ce n’est pas le cas. La véritable raison (et certains DAF me l’ont avoué) relève de la communication. Rien de plus.

En effet, quand on investit une certaine somme pour acquérir ou développer un bien durable, les sommes sont inscrites au bilan dans un compte approprié en totalité. Mais, chaque année, le résultat sera réduit d’une fraction de ce coût, correspondant théoriquement à la baisse de valeur du bien acquis du fait de son usure ou de son obsolescence, ce que l’on nomme les amortissements.
Bien entendu, les charges d’entretien et de gestion apparaissent également dans le résultat. A l’inverse, lorsque l’on loue un bien, une seule chose apparait dans les comptes : le loyer, directement imputé au résultat. Comme on l’a vu, en dehors du cas particulier de la mutualisation, le loyer est forcément supérieur à l’amortissement augmenté des frais d’entretien et de gestion.
Toute personne censée suivant un budget (c’est à dire une anticipation de résultat) devrait donc préférer des amortissements et des frais connexes à un loyer pour baisser ses charges totales et accroitre sa valeur et sa maîtrise de ses investissements. Sauf que ce n’est pas si simple à communiquer. Je dis bien : à communiquer.
En effet, cumuler amortissements et frais divers pas toujours simples à détailler ou à justifier est un exercice difficile. Et, même quand c’est fait, la somme apparait éclatée en plusieurs postes budgétaires difficiles à suivre pour un non-comptable. A l’inverse, un loyer, c’est simple, clair, limpide même.
La vraie solution d’une bonne gestion ne réside donc pas dans le choix d’OpEx au lieu de CapEx mais dans une bonne présentation des budgets et des suivis budgétaires. Pour y parvenir, une des solutions est une « location interne » : un service bailleur (un CSP, centre de service partagé, par exemple) loue quelque chose à un service bénéficiaire. Les surcoûts sont toujours là mais, au moins, ça reste dans l’entreprise… et la maîtrise reste aussi dans l’enceinte de la firme.

Article publié initialement sur le blog Chroniques le 13 avril 2012.